Les premiers GIEEs (Groupements d’intérêt économique et environnemental), issus de la la loi d’avenir n° 2014-1170 pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, ont été signés cette semaine lors du Salon International de l’Agriculture.
Les GIEE sont des collectifs d’agriculteurs reconnus par l’Etat qui s’engagent dans un projet pluriannuel de modification ou de consolidation de leurs pratiques. Il visent des objectifs économiques, environnementaux et sociaux. Derrière cette idée, le constat est que l’échelle de l’exploitation n’est pas toujours la plus adaptée pour gérer certains enjeux. Par exemple, l’échelle pertinente pour gérer les enjeux environnementaux est celle du paysage, alors que les enjeux sociaux doivent être saisis à l’échelle d’un territoire.
« Monstre juridique », pour Bruno Le Maire ancien ministre de l’Agriculture, « Kolkhoze écologiste » pour Jean-Louis Costes député UMP du Lot-et-Garonne. A-t-on vraiment besoin de ces nouveaux « labels » pour opérer ce changement d’échelle et promouvoir les approches collectives au sein de la profession agricole ?
Les chercheurs distinguent plusieurs mécanismes de coordination, pas ordre croissant d’autorité et d’intégration :
– promouvoir le partage de connaissances et bonnes pratiques par des systèmes d’information ;
– mettre en place des incitations financières avec lesquelles les agriculteurs agissant de manière coordonnée peuvent gagner plus ;
– créer des organisations pour lesquelles la coordination des actions est inscrite dans les statuts. Les GIEE correspondent à cette dernière approche.
L’idée n’est pas nouvelle et a vu le jour en 1992 aux Pays-Bas. Alors qu’on connait depuis longtemps le pouvoir des coopératives pour aider les agriculteurs dans la vente de leur production et la réduction des coûts par l’achat d’intrants en groupe, il n’y avait qu’un pas à franchir pour étendre les services des coopératives à la fourniture de services environnementaux par l’agriculture. Les coopératives environnementales hollandaises, aujourd’hui au nombre de 150, sont des organisations où des agriculteurs volontaires travaillent en collaboration avec l’administration locale pour mieux intégrer les enjeux environnementaux dans leurs pratiques.
A partir d’études de cas aux Pays de Galles, des chercheurs ont analysé les facteurs de succès pour la fourniture de services environnementaux à l’échelle des paysages : des engagements adaptés au contexte local ; des groupes de taille réduite et dont les membres se connaissent déjà, la possibilité pour les agriculteurs de proposer eux-mêmes les solutions, l’accès à du conseil externe et des subventions pour planifier et organiser les actions.
Les GIEEs réunissent-ils ces conditions du succès ?
De nombreuses critiques émanent déjà de la classe politique et de la profession agricole.
« La souplesse de la définition [des GIEE] leur donne aujourd’hui un contour flou, une portée juridique et une applicabilité peu lisibles » déclare Mme Dominique Orliac, députée PRG du Lot.
En effet, afin de laisser plus de flexibilité et encourager l’innovation, aucun cadre n’est imposé pour la forme et le statut juridique des GIEEs. Les regroupements entre agriculteurs sont encouragés quelle que soit leur forme juridique, et même si le regroupement est informel.
« La création de ce groupement risque de complexifier l’organisation des agriculteurs et de créer des inégalités entre les agriculteurs» estime Jean-François Mancel, député de la 2ième circonscription Oise.
Les actions du GIEE pourront bénéficier de majorations dans l’attribution des aides ou d’une attribution préférentielle des aides. Celles-ci pourront venir de différentes sources, et notamment de financements européens (FEADER, FEDER,FSE…), de l’État, des collectivités territoriales ou d’organismes publics (ADEME, Agence de l’eau…). Au sein de la Politique Agricole Commune 2014-2020 (règlement européen 1305/2013 relatif au soutien au développement rural), les aides à la coopération sont ouvertes aux GIEE (article 35). En outre, pour que les agriculteurs et les autres gestionnaires de terres soient en mesure de mettre en œuvre correctement les engagements agroenvironnementaux-climat qu’ils ont pris, les frais de transaction supplémentaires inhérents aux actions communes sont compensés (article 28.6).
Pour les projets les plus innovants, les GIEE peuvent se faire reconnaître « groupe opérationnel » au titre du Partenariat Européen d’Innovation (PEI) «Productivité et développement durable de l’agriculture». Si le groupement est situé dans une région qui a mis en place une cellule d’animation PEI, il pourra profiter de l’échange de connaissances qui sera fait dans le cadre du réseau PEI avec les autres groupes opérationnels.
Enfin, pour faciliter les actions communes, la loi prévoit que les actions menées par les agriculteurs membres du GIEE dans le cadre de ce projet relèvent de l’entraide agricole (et non d’une relation commerciale ou salariale).
L’étude d’impact préalable au projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est restée très vague. Il faudra évaluer les résultats après quelques années de fonctionnement, même si imaginer ce qu’il se serait passé pour ces groupes d’agriculteurs dynamiques en l’absence des GIEEs reste difficile. Effet d’aubaine ? Certains auraient surement engagé des actions similaires sans les aides, car ils y trouvent un intérêt propre. On peut néanmoins espérer que la communication et les incitations financières autour des GIEEs vont convaincre certains agriculteurs de mener des actions collectives qui n’auraient pas vu le jour sans ces incitations.
Pour en savoir plus :
Qu’est-ce qu’un GIEE ? (Ministère de l’agriculture français)
Les Groupements d’intérêt économique et écologique (Chambres d’agriculture, n°1026, décembre 2013)
Quelles aides possibles pour les actions des GIEE ? (Ministère de l’agriculture)
Quelques exemples :
– GIEE déjà retenus en Poitou-Charente et Champagne Ardennes (appel à projet en cours dans les autres régions)
– Les projets retenus dans le cadre de l’appel à projets de 2013 « mobilisation collective pour l’agro-écologie» financé par le Compte d’affectation spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR), qui avait notamment pour ambition de préparer la mise en place des GIEE.
En savoir plus sur des expériences similaires à l’étranger :
– Les coopératives environnementales au Pays-Bas
Roel Jongeneel and Nico Polman (2014) “Farmer groups as a device to ensure the provision of
green services in the Netherlands: a political economy perspective” Paper prepared for presentation at the 14 th EAAE Congress in Lubljana, August 26-29, 2014
– Des actions environnementales collectives au Pays de Galles
Mills, Jane , Gibbon, David , Ingram, Julie , Reed, Matt , Short, Christopher and Dwyer, Janet (2011) ‘Organising Collective Action for Effective Environmental Management and Social Learning in Wales’, The Journal of Agricultural Education and Extension, 17: 1, 69 — 83,
En savoir plus sur les Partenariat Européen d’Innovation « Productivité et développement durable de l’agriculture »
La communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur le partenariat européen d’innovation « Productivité et développement durable de l’agriculture » [Pdf – 11 pages]