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La simplification de la PAC : un objectif fixé de longue date et aux multiples facettes

Début 2024, la tension monte dans plusieurs pays de l’Union européenne. Les agriculteurs, qui ont initialement manifesté contre la hausse programmée du prix du gazole non routier, dénoncent aussi des revenus insuffisants, et un manque de reconnaissance des difficultés de leur métier. Progressivement, leurs revendications s’orientent vers l’excès de contraintes environnementales et les lourdeurs administratives de la PAC. La profession se fédère autour d’un mot d’ordre équivoque : la simplification. Équivoque en effet, car derrière ce mot, les agriculteurs réclament pêle-mêle l’assouplissement, voire la suppression de contraintes environnementales, l’harmonisation des normes entre États-membres et l’allègement des tracasseries qu’ils disent subir du fait des multiples dossiers à remplir, de la paperasse à gérer, et des contrôles liés à la PAC. Or la simplification des contraintes et la simplification des procédures peuvent aller de pair mais ne relèvent pas de la même logique. La confusion qui existe derrière ce terme entretient un flou que les différents syndicats agricoles et bords politiques vont utiliser pour faire avancer leurs revendications.

Dans cette Actu, nous nous focalisons sur la complexité administrative de la PAC et sur les efforts de simplification qui ont été entrepris par les autorités européennes depuis plusieurs décennies et qui se poursuivent aujourd’hui.

Dossiers et contrôles associés à la PAC, un fardeau pour les agriculteurs ?

La crise agricole de janvier 2024 a mis sur le devant de la scène l’exaspération d’une majorité d’agriculteurs face aux dossiers, aux procédures et aux contrôles auxquels ils doivent indispensablement se soumettre pour bénéficier des soutiens européens. De fait, beaucoup d’entre eux les vivent comme un casse-tête chronophage et anxiogène, qui entrave leur travail quotidien et alourdit leur charge mentale. Pour autant, le cadre imposé les incite aussi à adopter des pratiques de gestion propices à l’amélioration de leur activité professionnelle, qu’il s’agisse du suivi de leur comptabilité, de leurs productions ou de la santé de leurs cultures ou leurs animaux. Dans ce cas, le travail de suivi n’est plus vécu comme de la paperasserie inutile. Il s’ancre dans le concret de l’exploitation et les contraintes prennent du sens. « Le contrôle laitier ou la comptabilité, ça me concerne moi directement donc c’est important, ça m’intéresse. », affirme Patrick, agriculteur interrogé dans le cadre de la thèse de Blandine Mesnel[1]. Le problème commence quand l’agriculteur perçoit une démarche comme extérieure à son travail et illégitime : « la PAC, on voit le tampon de l’État, c’est extérieur, ce n’est pas intéressant ». Où se situe la frontière entre une démarche légitime et une démarche illégitime aux yeux d’un agriculteur ? Dans quelle mesure est-il souhaitable et possible de les simplifier ?

Prenons l’exemple du dépôt de dossier annuel de demande d’aides PAC, qui concerne la très grande majorité des agriculteurs. Celui-ci requiert 9 étapes, allant de la déclaration des surfaces et des animaux à la justification du respect de bonnes conditions agricoles et environnementales. Évidemment nécessaire pour traiter chaque demande de subventions, le dossier PAC est cependant de plus en plus touffu. A mesure que les objectifs des mesures se multiplient et que le nombre d’aides proposées augmente, le nombre de formulaires à remplir et de justificatifs à fournir grandit. Dans sa thèse, Blandine Mesnel donne l’exemple édifiant d’une ferme espagnole dont le dossier PAC passe de 6 pages en 2001 à 48 pages en 2016. Même si la constitution de ce dossier est désormais grandement facilitée par la plateforme Télépac, beaucoup d’exploitants ont des difficultés et doivent faire appel aux services payants de leur chambre d’agriculture ou à un prestataire externe. Par ailleurs, dans bien des cas, ce dossier annuel n’est pas l’unique démarche à faire pour l’agriculteur. Les aides non surfaciques du 2nd pilier (par exemple la dotation jeunes agriculteurs ou les aides à l’investissement) sont soumises à un calendrier qui leur est propre et à des appels à projets spécifiques gérés par les Régions. Ils sont souvent perçus comme plus difficiles à obtenir du fait de la complexité des dossiers et du nombre de justificatifs (parfois redondants) à fournir.

Pour autant, malgré leur montant parfois conséquent, les aides obtenues ne sont pas toujours synonymes de sérénité financière car les incertitudes sont fréquentes sur les montants et les dates de versement de subventions, ainsi que sur les contrôles pouvant donner lieu à des rectifications, voire à des sanctions financières. Alors que la campagne 2024 de demande d’aides PAC est ouverte depuis le 1er avril. La France Agricole indique que des demandes d’aides à la conversion en bio ou des dossiers MAEC de la campagne 2023 n’étaient toujours pas instruites fin avril (et donc l’aide pas encore versée).

La charge de la complexité pèse aussi lourd financièrement sur les administrations nationales, et sur la Commission européenne. Les autorités bruxelloises en sont conscientes et ont pris une série d’engagements pour l’alléger, et ceci depuis plus de 30 ans.

Les tentatives de simplification à l’échelle européenne

Dans une communication de 2005 intitulée Simplification et meilleure réglementation pour la PAC, la Commission européenne distingue la simplification technique (du cadre légal, des procédures et de la gestion) sans changement des règles de base de la simplification de la politique, qui consiste à définir des règles plus simples, ce qui peut rimer aussi avec « moins de règles ».

Le chantier de la simplification « technique » de la PAC n’est pas nouveau. Il a été affiché comme un objectif essentiel par les Commissaires européens à l’agriculture et au développement rural qui se sont succédés depuis le début des années 90.

  • Dès 1995, Franz Fischler annonce vouloir une PAC plus simple à comprendre et à appliquer. Sa préoccupation est l’élargissement futur à l’Europe centrale et orientale dont les capacités de gestion sont moins importantes.
  • En 2004, sa successeure Mariann Fischer Boel poursuit le même objectif. C’est ainsi qu’un premier plan d’action pour la simplification de la PAC est publié en 2006. En 2007, la DG Agri commandite une évaluation des coûts administratifs qui pèsent sur les agriculteurs dans cinq Etats-membres de l’UE. En France, ils sont évalués à près de 1000€ par exploitation agricole, soit près de 20€ par hectare. Dans un communiqué de presse de mars 2009, la Commission affirme sa volonté de réduire les coûts administratifs de la PAC de 25% à horizon 2012.
  • En octobre 2011, la Commission publie ses propositions pour la nouvelle PAC qui doit commencer en 2013 avec une annexe dédiée à la simplification. Cependant, les ministres de l’agriculture estiment que leurs attentes n’ont pas été prises en compte à leur juste mesure. Dacian Ciolos défend alors le projet de réforme proposée par la Commission dans une lettre adressée aux ministres et aux parlementaires en soulignant que celui-ci mènera à une PAC plus juste, plus verte et plus simple.
  • Début 2015, Phil Hogan entame à son tour un examen de la PAC, à l’issue duquel il statue que toute nouvelle proposition doit désormais aller vers la simplification. Le Commissaire irlandais identifie trois grands chantiers de simplification : les critères d’attribution des paiements de base, l’unification des organisations communes de marché et les règles des indications géographiques protégées.
  • C’est ainsi qu’en 2017, la Commission lance une consultation publique de 3 mois sur l’avenir de la PAC pour recueillir des contributions « en vue de sa modernisation et de sa simplification » eu égard aux enjeux sociaux, politiques, environnementaux et économiques du moment. Les principales conclusions sont disponibles ici.
  • En 2018, dans le règlement Omnibus, le Conseil se réjouit d’adopter « un accord sur de nouvelles règles qui rendraient la vie plus facile aux agriculteurs européens» (Tarmo Tamm, ministre de la ruralité de la République d’Estonie et président du Conseil). Conformément aux souhaits de Phil Hogan, celles-ci concernent : les paiements directs, le développement rural et les OCM (plus de détails ici).
  • Enfin, dans la PAC qui a débuté en 2023, le principe de subsidiarité prend de l’ampleur à travers la mise en place des Plans Stratégiques Nationaux (PSN). Le « nouveau modèle de mise en œuvre » de la PAC, en donnant à la fois plus de marge de manœuvre et plus de responsabilités aux Etats-membres, veut privilégier des mesures mieux ajustées aux contextes et besoins nationaux. Ce faisant, le risque est cependant de rendre la PAC moins commune et les procédures de contrôle de réalisation des objectifs plus complexes. L’évolution du cadre commun de suivi et performance (CCSP) vers un cadre de suivi et d’évaluation de la performance (CSEP) va changer les obligations de suivi et de reporting des Etats-membres et les rendre probablement plus compliquées.

Aucun de ces chantiers de simplification ne prouve son efficacité. Les Etats-membres et les syndicats en sont souvent responsables car ils sont les premiers à demander un cortège d’exemptions et de dérogations qui transforme la lecture des textes règlementaires en un vrai casse-tête lors de leur mise en œuvre sur le terrain.

Les mesures prises depuis avril 2024 pour répondre au mécontentement

En réponse aux manifestations massives de ce début d’année, la PAC est révisée en hâte par les dirigeants européens (vous pouvez lire notre actu CAPeye sur le sujet), dans l’optique de faciliter le quotidien des éleveurs et des agriculteurs. Cette réforme, présentée comme une simplification, est avant tout un assouplissement des normes environnementales. L’allégement de certaines BCAE ou l’exclusion de la conditionnalité des exploitations de moins de 10 ha contribuent certes à la simplification technique, mais se font aux dépens de la protection de l’environnement.

En parallèle, la Commission a lancé  au mois de mars un questionnaire destiné aux  agriculteurs européens pour mesurer leur ressenti face aux charges administratives de la PAC. Il est prévu que les conclusions de cette enquête servent de base de travail pour initier des propositions de simplification à l’automne 2024. Les attentes sur ce sujet se sont révélées importantes puisque près de 29 000 agriculteurs ont répondu (parmi lesquels 16% sont des agriculteurs qui n’ont pas demandé d’aides de la PAC, possiblement pour des raisons liées à la trop grande complexité des dispositifs).

L’enquête révèle que près de 80% des répondants demandeurs d’aides PAC se font aider pour soumettre leurs dossier PAC (vous pouvez accéder ici aux premiers résultats). Dans 57% des exploitations, le temps passé aux tâches administratives requises pour demander des aides PAC dépasse les 5 jours de travail par an et 36% des répondants déclarent passer au moins deux jours pour préparer et répondre à une visite de contrôle sur l’exploitation. Enfin 44% des répondants indiquent aussi devoir fournir plusieurs fois les mêmes pièces justificatives.

En France, le gouvernement a pris 70 engagements en faveur des agriculteurs. Certains visent explicitement la simplification du quotidien des agriculteurs : une mesure, intitulée « Simplifier la vie quotidienne des agriculteurs », a donné lieu à un « mois de la simplification » (entre février et mars 2024). Son objectif ? Interroger les agriculteurs sur la pertinence des normes et compléter le projet de loi agricole en fonction des réponses collectées. 3000 propositions sont remontées et 63 arrêtés préfectoraux ont été modifiés en date 19 février 2024. Un Conseil supérieur d’orientation et de coordination de l’économie agricole et alimentaire (CSO) a été organisé le 21 février 2024 pour donner le coup d’envoi du chantier de simplification à la suite du recueil de ces 3000 propositions. Cependant, bien que ces mesures fassent suite à la mobilisation des agriculteurs dénonçant la bureaucratie européenne, il s’agit là de mesures qui sont du ressort de la loi d’orientation agricole française.

Simplifier la PAC : un travail de Sisyphe ? 

Comme l’a souligné avec humour le Commissaire Phil Hogan, « simplification is anything but simple ».

De toute évidence, la simplification de la PAC n’est pas une action ponctuelle mais un long chemin. Dans une politique construite au fil des années par réformes successives et qui intéresse des parties prenantes nombreuses et variées, ce qui est perçu comme une simplification au niveau européen peut constituer une charge supplémentaire au niveau national ou au niveau individuel. Par ailleurs, les intérêts nationaux divergents exprimés par les 27 États amènent souvent à construire une politique de compromis qui introduit un degré de complexité supplémentaire. Un post d’Alan Matthews de 2015 désigne le mot d’ordre de la simplification comme un engagement facile à prendre politiquement et susceptible de faire le « buzz » sans pour autant être suivi d’effets.

Enfin, reste à s’interroger sur le « bon » niveau de simplification. Est-il toujours souhaitable de simplifier ? Des travaux de recherche[2] montrent ainsi que trop de simplification peut se faire au détriment des objectifs poursuivis par la PAC, ou que la simplification à certains niveaux du système peut générer d’autres complexités ou des charges administratives à d’autres niveaux. C’est ce qu’Alan Matthews appelle une tâche de Sisyphe !

 

 

[1] B. Mesnel, 2020, Des formulaires administratifs pour gouverner l’agriculture – une comparaison des agriculteurs face à la PAC et des policy feedbacks en France et en Espagne, thèse de doctorat, Sciences Po.

[2] Armsworth P.R, Acs S., Dallimer M., Gaston K.J., Wilson P., Hanley N., 2012, The costs of policy simplification in conservation incentive programs, Ecology Letters 15 406-414, doi: 10.1111/j.1461-0248.2012.01747.x

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