Le 20 juin dernier disparaissait Edgar Pisani, l’un des pères de la PAC, un fervent défenseur d’une Europe forte et unie. Trois jours plus tard, les Britanniques votaient la sortie de l’Europe, marquant un pas vers la désunion. Qu’aurait dit M. Pisani des résultats de ce référendum, lui qui aimait rappeler, en parlant de la PAC : « Quand une politique a réussi c’est qu’elle a changé le monde et puisque le monde a changé alors il faut changer de politique » ? Peut-être une phrase prémonitoire pour la PAC et même pour l’Europe entière ?
Dans le documentaire « La PAC, la voix de ses pères », il rappelle avec humour comment, trois semaines après sa nomination comme Ministre de l’agriculture du gouvernement Michel Debré en 1961, il a dû faire son apprentissage dans le train entre Paris et Bruxelles sur les enjeux des négociations agricoles et de la future PAC. Durant ses 5 années au Ministère, il a lancé de concert avec la jeune génération d’agriculteurs la révolution silencieuse qui a transformé le paysage agricole et le métier. Il est le père des lois d’orientation agricole de 1960 et 1962 qui portent son nom, et l’artisan du remembrement. Il occupera ensuite bien d’autres postes à responsabilité et de mandats électifs, mais restera toujours attentif aux évolutions du monde agricole et rural, préoccupé par la faim dans le monde et l’inégal développement entre le Sud et le Nord. Il sera membre fondateur du Groupe de Bruges et l’auteur en 2004 de l’essai « Un vieil homme et la terre » (2004). Dans l’avant-propos, il écrit : « L’agriculture est le plus ancien des problèmes politiques et les économistes nous fourvoient lorsqu’ils proclament que cette vision est dépassée puisque nous pouvons nous approvisionner sur les marchés mondiaux. Les problèmes de sécurité ne relèvent pas seulement de leur discipline. Ce qui se passe aujourd’hui m’inspire plus d’inquiétudes que d’espoir. À vouloir « forcer » la terre nous prenons, en effet, le risque de la voir se dérober. À vouloir mondialiser le marché, nous faisons fi du besoin que tous les peuples ont de vivre à leur manière, du travail de leurs terres. À industrialiser le travail agricole, nous chassons des paysans dont les villes et les usines ne savent plus que faire ». Récemment, il reconnaissait que les orientations productivistes qu’il avait défendues dans les années 60 et 70 menaient à une impasse et qu’il fallait repenser la PAC.
Edgar Pisani était une voix, un animateur et un passeur d’idée. Il avait inventé la concertation avant l’heure. Il était humaniste et penseur.
A voir :
Documentaire de Noémie Rocher « PAC : la voix de ses pères »
A lire :
- Pour une agriculture marchande et ménagère, La Tour de l’Aube, éd. Charles Léopold Mayer, 1994, 91 p.
- Entre le marché et les besoins des hommes. Agriculture et sécurité alimentaire mondiale (avec Pierre-Yves Guihéneuf), éd. Charles Léopold Mayer, 1996.
- Un vieil homme et la terre, éd. Seuil, 2004.
- Une politique mondiale pour nourrir le monde, éd. Springer, 2007.
Sophie Thoyer