C’est en juin prochain qu’il est prévu que la Commission européenne diffuse les propositions législatives pour la future PAC. Pourtant, mercredi 25 avril, le document de travail de la Commission européenne a fuité et Arc2020 l’a diffusé et commenté et d’autres associations devraient lui emboiter le pas. Il est disponible ici.
Qu’est-ce que nous révèle ce document sur les intentions de la Commission européenne pour la future PAC ?
Le premier élément est que chaque Etat-membre devra établir un Plan de Soutien à la PAC (CAP support plan) non seulement pour les aides financées par le FEADER (Fonds Européen de Développement Rural) comme cela se fait déjà, mais aussi pour les aides du FEAGA (Fonds Européen Agricole de Garantie). Notons à cette occasion, qu’on ne trouve pas de référence au premier et second pilier dans le document de travail de la Commission européenne.
Il est de plus, clairement exprimé que ce plan peut être établi à l’échelle nationale ou à l’échelle régionale, à condition que l’échelon national assure la cohésion d’ensemble. Autrement dit, on pourrait potentiellement voir des régions européennes gérer intégralement les aides de la PAC (aides directes et aides du développement rural).
Ajoutons également que les bénéficiaires des aides directes sont qualifiés par la Commission européenne de « genuine famers », qu’on peut traduire comme « les vrais agriculteurs« . Ce terme est nouveau, dans la PAC actuelle on parle d’agriculteurs actifs (en anglais active farmers). C’est à l’échelle des Etats-membres que les critères pour les définir seront fixés, ce qui relancera de vifs débats (en France, la réflexion est déjà lancée avec la mise en place d’un registre agricole). La Commission européenne demande néanmoins que la définition entre dans un cadre qu’elle définit dans sa proposition : s’assurer qu’aucune aide n’ira à des agriculteurs pour qui l’activité agricole constitue une part insignifiante de leur activité voire même ceux pour qui l’activité agricole n’est pas principale. La Commission européenne précise qu’il ne s’agit pas d’exclure automatiquement les agriculteurs pluriactifs.
Voici quelques éléments importants sur la nouvelle architecture du premier pilier telle qu’elle apparait dans cette version de travail. Nous avons laissé de côté dans cette actu les propositions sur le développement rural, assez proches de la version 2014.
La structure des paiements directs en strates est conservée. Le paiement de base, l’actuel DPB (droit à paiement de base) sera remplacé par le BISS en anglais, le Basic Income Support for Sustainability, en français le soutien de base au revenu pour la durabilité. Ce paiement sera comme le DPB, annuel et distribué à l’hectare éligible de SAU. La Commission européenne permettra aux Etats-membres de déterminer la base de calcul du montant versé par hectare de SAU : soit nationale et les montants sont donc les mêmes pour tous les hectares, soit ajustée selon les territoires et les conditions agronomiques et socio-économiques. Dans la forme, même si ce paiement est comparable au DPB, sa dénomination affiche désormais clairement qu’il s’agit d’un soutien au revenu et une partie semble liée à des pratiques bénéfiques pour l’environnement et le climat qui répondraient au Plan de Soutien de la PAC de chaque Etat-membre. Notons qu’il n’est pas clairement exprimé à ce stade ce que le mot « durabilité (sustainability) » recouvre : durabilité environnementale, sociale et économique ?
Dans la proposition provisoire de la Commission européenne, le BISS sera complété par un paiement redistributif de soutien au revenu (CRISS – Complementary Redistributive income support for sustainability). Comme l’actuel paiement redistributif, ce paiement visera à redistribuer les aides directes en faveur des petites et moyennes exploitations agricoles. Le nombre d’hectares concernés par exploitation et le montant par hectare de ce soutien seraient déterminés par les Etats-membres. Le principal changement est que la Commission souhaite qu’il soit obligatoire pour les Etats-membres.
Ensuite, le BISS et le CRISS pourront être complétés par l’éco-scheme qui lui, sera optionnel pour les Etats-membres. Les agriculteurs pourront en bénéficier chaque année, si l’Etat-membre le décide et s’ils ont des pratiques bénéfiques pour l’environnement. Ce qu’il est important de retenir est que ce sont les Etats-membres qui devront définir les pratiques reconnues comme pouvant bénéficier de ce paiement et que celui-ci sera annuel. On s’éloigne donc largement des trois mesures identiques dans toutes l’UE qui fondaient le verdissement. D’ailleurs ce dernier n’apparaît plus dans le texte. La Cour des comptes européenne avait diffusé une critique cinglante du verdissement, il semble que la Commission européenne l’ait entendue.
Pour finir sur la structure du premier pilier, le paiement pour les jeunes agriculteurs sera maintenu dans une forme comparable à l’actuel soutien aux jeunes agriculteurs du premier pilier.
Enfin, la Commission européenne propose dans ce document encore provisoire un plafonnement obligatoire des aides directes à 60 000€ par exploitation. Les montants issus du plafonnement pourraient rester dans le budget FEAGA ou être transférés dans le budget FEADER.
Attention cependant, il est proposé que soient déduits du montant plafonné les coûts salariaux et les coûts estimés (à partir des références salariales nationales) du travail familial. On est très loin de l’actuel plafonnement volontaire des aides directes optionnel et très peu choisi par les Etats-membres (9 sur 28) ou qui quand il est appliqué concerne souvent des montants d’aides directes très élevés (entre 150 000€ et 600 000€). C’est une proposition marquante mais il n’est pas sûr qu’elle résiste, en ces termes, à la négociation qui aura lieu au Parlement européen et au Conseil des ministres de l’Union européenne. Proposer un plafonnement drastique pour espérer obtenir au moins un plafonnement obligatoire, même moins contraignant, est peut-être une tactique de la Commission pour se donner des marges de négociation.
Il semblerait que dans sa proposition, la Commission européenne maintienne la possibilité d’accorder des aides couplées pour certaines productions sur le modèle qu’on connait actuellement. La différence est qu’elles bénéficieraient d’une nouvelle dénomination : soutien au revenu couplé (coupled income support), sans qu’on comprenne très bien, à ce stade, l’intention derrière ce nouveau terme. Il ne semble pas, en tous cas, qu’il s’agisse d’un soutien couplé au revenu
On peut donc voir le verre à moitié plein ou à moitié vide. En version optimiste : plus de subsidiarité donnée aux Etats membres ou aux régions pour orienter les aides du FEADER mais aussi du FEAGA, et peut-être plus de soutien accordé aux petites et moyennes exploitations agricoles « durables » via le plafonnement et l’éco-scheme. En version pessimiste : les Etats membres ou les régions verront peser sur eux plus de responsabilités de programmation et de contrôle, en auront-ils les moyens ? Les notions de « durabilité » et l’éco-scheme sont encore très peu spécifiés dans cette version intermédiaire, qu’en sera-t-il dans la version finale ? Enfin, la Commission reste sur les mêmes schémas d’allocation d’aide, par hectare essentiellement.