Le grand débat public sur l’agriculture, organisé par la Commission Nationale du Débat Public (CNDP) depuis février 2020, et appelé judicieusement « ImPACtons ! » est relancé après quelques mois d’interruption liée à la crise sanitaire. Il est présenté comme la première grande consultation nationale sur la PAC. C’est de fait une obligation légale liée à l’élaboration en cours du « Plan Stratégique National (PSN) » qui établit la déclinaison française de la PAC. Le projet de PSN ne peut se faire sans une évaluation par l’Autorité environnementale et une consultation publique nationale dont une synthèse des résultats sera rendue au Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation d’ici fin décembre 2020. L’un des objectifs de cette consultation est en effet d’appuyer le Ministère lors de la rédaction du PSN, sur l’établissement de ses priorités d’intervention et sur les mesures à cibler. L’exercice n’est pas aisé car du fait du retard pris par le processus de consultation, le PSN sera quasiment bouclé avant le rendu du rapport, même si le Ministère est quand même tenu de fournir une réponse sur la manière dont il prend en compte les conclusions et recommandations issues de la consultation avant la fin du premier trimestre 2021.
Le compte-rendu d’étape de juin 2020
Un premier compte rendu d’étape du débat public a tout de même été publié en juin 2020. Il en ressort une attente forte suite aux Etats généraux de l’alimentation. Les citoyens ont notamment réaffirmé leur souhait d’une PAC ambitieuse et leur volonté d’être associés plus directement aux décisions sur les politiques européennes. Ce premier compte rendu souligne aussi l’importance donnée à l’évolution du système alimentaire avec comme priorité la protection de la santé. Pour certains, cela sous-entend un changement profond et radical du modèle agricole actuel pour aller vers des modèles agro-écologiques. Pour d’autres, les systèmes agricoles ne peuvent être adaptés que graduellement pour incorporer les enjeux actuels sur l’environnement et le climat, et rester compatibles avec les objectifs premiers de l’agriculture, produire et nourrir. La plupart des contributions reconnaissent que les changements de pratiques ou de systèmes de production, potentiellement nécessaires, sont complexes, difficiles, parfois impossibles, dans le contexte français et mondial actuel. Les citoyens montrent qu’ils sont conscients des contraintes du secteur agricole, et réaffirment qu’ils veulent un revenu plus juste pour les agriculteurs et que leurs conditions de travail difficiles soient reconnues.
Les modalités de contribution
La consultation publique est encore ouverte jusqu’à fin octobre. Elle se fait sous différents formats.
– déposer un avis/une contribution sur la plateforme ImPACtons !
– réagir à des cahiers d’acteurs déposés en ligne. On retrouve par exemple les cahiers d’acteurs des Jeunes agriculteurs, de la FNSEA, de France Nature Environnement, ou du collectif Pour un autre PAC.
– participer voire organiser des débats. Deux formats coexistent : les débats « maison » et les débats en région organisés en partie par le Ministère. Pour les débats « maison », la CNDP met à disposition un petit kit en ligne, supposé aider les organisateurs. Les débats en région sont ouverts à tous et chacun d’eux est centré sur une thématique : les lieux et sujets des débats sont mis à jour ici.
L’assemblée citoyenne sur l’agriculture de fin septembre
La CNDP a choisi d’aller plus loin en proposant une assemblée citoyenne sur l’agriculture (ACA) sur le modèle de la convention citoyenne sur le climat, mais avec des objectifs différents. Alors que cette dernière avait été initiée, sans obligation légale, par le gouvernement suite à la crise des gilets jaunes et avait pour objectif, à l’issue de nombreuses sessions de travail, de formuler des propositions concrètes pour lutter contre le changement climatique, le but de l’ACA, qui ne s’est déroulé que sur un week-end, du 25 au 27 septembre, est de dégager un consensus d’un panel de citoyens sur les grands principes d’un contrat social entre la société et le secteur agricole. C’est donc plutôt une vision politique qui était attendue de cette convention sur les grandes orientations de la déclinaison de la PAC en France, plutôt qu’une liste de solutions à appliquer.
Ce sont 130 citoyens, tirés au sort pour former un échantillon représentatif de la France, qui sont venus débattre sur ce qu’ils attendent de l’agriculture et du rôle que la PAC doit jouer. Notons que Christiane Lambert, présidente de la FNSEA et désormais aussi présidente du syndicat européen COPA-COGECA s’est insurgée contre le principe d’une telle assemblée : « je suis attachée à la démocratie représentative. Tirer des gens au sort et les faire parler de la PAC, beaucoup d’agriculteurs le vivent très mal » (extrait d’une interview sur LCI du 28/09/2020). Mais, comme l’ont souligné de nombreux participants lors de ce week-end, l’argent de la PAC est de l’argent public : il est donc normal que la PAC soit au service de la société et que les citoyens puissent s’exprimer à ce sujet. Et si la PAC reste un sujet éminemment complexe, les objectifs qu’elle affiche comme l’amélioration de l’environnement et la qualité de l’alimentation sont bien l’affaire de tous.
Après l’édition d’un petit guide du participant (qui s’est appuyé en partie sur les documents du site capeye) et l’audition d’experts et de parties prenantes (avec la participation de capeye), les citoyens ont débattu puis voté pour aboutir à une synthèse présentant six grands objectifs et 17 leviers d’action. Cette proposition d’un « nouveau contrat pour l’agriculture » affirme la volonté de l’assemblée de promouvoir la transition agro-écologique, une alimentation saine, de qualité et accessible à tous, tout en défendant une juste rémunération et retraite pour les exploitants agricoles. Ces objectifs sont déjà ceux qui sont énoncés par la Commission européenne dans la proposition de réforme de la PAC post 2020 et sont plutôt consensuels.
Les trois autres objectifs introduisent des idées un peu différentes, et qui, même si elles ne sont pas clairement énoncées, méritent qu’on s’y attarde :
- « Garantir une production efficace économiquement qui assure un revenu digne et valorisé par la société ». Cette notion de dignité des producteurs agricoles et d’attente d’une reconnaissance sociale est importante. Elle doit pouvoir s’exprimer dans les prix que les consommateurs sont prêts à payer pour des produits alimentaires dont on connaitrait mieux l’origine et l’empreinte environnementale. Elle fait aussi référence à ce qui est ressenti par de nombreux exploitants agricoles comme des attaques stigmatisantes, par exemple sur l’activité agricole en zone périurbaine, le bien-être animal, ou même la consommation de viande. C’est une main tendue vers le secteur agricole.
- « Garantir la prise des décisions au niveau local et territorial qui structurent la production locale » : les citoyens réaffirment ainsi leur préférence pour que les systèmes agri-alimentaires locaux puissent être orientés par les élus des territoires. Cela plaide pour que les Régions gardent un pouvoir fort dans l’élaboration et les priorisations des dépenses du 2nd pilier.
- « Garantir une souveraineté européenne (agricole et alimentaire) en harmonisant les règles fiscales, sociales, environnementales etc. ». La question de l’hétérogénéité des règles européennes qui créent des concurrences inégales entre exploitants agricoles européens et avec le reste du monde a été souvent au cœur des discussions. Le lien avec l’usage du terme souveraineté alimentaire n’est pas clair mais semble indiquer la volonté d’être moins soumis à la loi des marchés internationaux et de reconstituer une forme de préférence européenne. Reste à voir si les citoyens seront aussi prêts à faire de choix plus engagés sur ce qu’ils mettent dans leurs assiettes.