Les Plans stratégiques nationaux (PSN) validés par la Commission européenne sont entrés en vigueur en janvier 2023. Les premières comparaisons de leurs contenus sont désormais disponibles.
Pourquoi les comparaisons n’arrivent que maintenant alors que les PSN ont été soumis il y a plus d’un an ?
La première vague de soumission des PSN à la Commission européenne a eu lieu en janvier 2022. Suite à une analyse critique de chaque PSN par la Commission, les Etats-membres ont dû réviser leur copie pour soumettre une version remaniée et obtenir l’agrément de la Commission dans le 2ème semestre 2022. Ils n’ont donc eu que très peu de temps pour la révision et, en pratique le contenu des PSN n’a pas beaucoup changé entre la première et la deuxième version. On peut aisément le comprendre sachant que les Etats-membres devaient être prêts dès janvier 2023.
Des premières analyses des PSN ont été produites à cette époque mais il fallait faire face à un obstacle de taille : les PSN sont rédigés dans la langue officielle de l’Etat-membre, et sont souvent extrêmement volumineux (1000 pages pour le PSN français). Dans ces conditions, les premières analyses comparées n’ont pu être menées que sur un petit nombre de pays (comme par exemple pour la République tchèque, l’Allemagne ou encore la France, l’Espagne et la Pologne)
Aujourd’hui, la Commission européenne diffuse sur son site internet des fiches récapitulatives par PSN et vient de publier un rapport complet (en anglais) qui présente les différents choix d’application. Il devient donc plus facile d’avoir une vue d’ensemble même si pour creuser une question précise, on ne peut faire l’économie de revenir au texte originel du PSN, ce qui est loin d’être simple. Pour avoir une analyse complète détaillée, vous pouvez aussi lire le rapport (en anglais) commandité par le Parlement européen qui vient d’être rendu public.
Comme les Etats-membres ont des marges de manœuvre importantes, les comparaisons deviennent vite complexes à décrire dans les détails. Nous vous fournissons un résumé rapide des comparaisons sur trois questions : la redistribution des aides, les mesures pour l’environnement et les aides couplées.
Les Etats-membres jouent-il le jeu de la redistribution des aides ?
En ce qui concerne la redistribution des aides, il y a un changement majeur dans le règlement de la PAC : alors qu’en 2014-2020 la dégressivité était obligatoire et la surprime était optionnelle, en 2023-2027, la dégressivité devient optionnelle et la surprime obligatoire.
La dégressivité et le plafonnement qui visent à réduire les montants des plus gros bénéficiaires ont été relativement peu choisis par les Etats-membres.
Figure extraite du rapport commandité par le Parlement européen
Côté surprime, les seuils en hectare surprimés et les montants en €/ha sont assez variés dans les PSN. En République tchèque par exemple, les 150 premiers hectares de toutes les exploitations reçoivent un montant de surprime de 154€/ha et un paiement de base de 67€/ha, alors qu’en France ce sont les 52 premiers hectares qui reçoivent 48€/ha de surprime et 130€/ha de paiement de base. C’est aussi la République tchèque qui dédie la plus grande part de son budget de paiements directs à la surprime. Mais l’analyse des seuils, des montants et des parts du budget dédiées au paiement redistributif ne permet pas de conclure sur l’ambition redistributive des Etats-membres. Pour cela, il faut bien plus d’informations notamment sur la structure de leur secteur agricole.
Figure extraite du rapport de la Commission européenne
Criss : paiement redistributif (complementary redistributive income support for sustainability)
Biss : paiement de base (basic income support for sustainability)
Cis : paiements couplés (coupled income supports)
Cis-yf : paiement additionnel pour les jeunes agriculteurs (complementary income support for young farmers)
Enfin et toujours en termes de redistribution, notons que le programme dédié aux petits agriculteurs (le small farmers scheme) n’est ouvert que dans 5 Etats-membres (Malte, Portugal, Lettonie, Bulgarie et République tchèque). Ils étaient 14 à l’avoir activé en 2014, dont la Roumanie et l’Allemagne. Alors qu’il vise la simplification administrative pour les petits agriculteurs qui peuvent ainsi accéder à une aide forfaitaire à l’exploitation (1250 € au maximum), ce programme n’a finalement pas été plébiscité par les Etats-membres pour lesquels il avait été conçu.
L’environnement est-il le point faible du nouveau modèle de mise en oeuvre de la PAC ?
Avec la PAC de 2023-2027, les Etats-membres ont dû mettre en œuvre les éco-régimes (voir notre actu sur les choix des EM en matière d’éco-régimes). Offrant plus de marges de manœuvre et d’adaptations possibles aux contextes locaux, ces nouvelles mesures et l’application qui en est faite dans les Etats-membres (précisée dans les PSN) sont vivement critiquées par les ONG environnementales.
Tous les Etats-membres doivent dédier au moins 25% de leurs paiements directs aux éco-régimes, et ceux-ci doivent couvrir au moins deux thématiques environnementales parmi les suivantes : l’adaptation et l’atténuation au changement climatique, la gestion de l’eau, du sol, la protection de la biodiversité, la réduction des pesticides et le bien-être animal. Le rapport commandité par le Parlement européen montre que tous les Etats-membres couvrent la thématique de gestion du sol et que la plupart intègrent également la protection de la biodiversité. Il montre au contraire que le bien-être animal mais aussi la réduction des pesticides sont moins bien couverts. Le groupe d’associations environnementales ARC2020 fait le même constat sur le manque d’implication des Etats-membres dans la poursuite des objectifs de limitation des pesticides. C’est évidemment un sujet très sensible chez les agriculteurs, dont beaucoup estiment qu’ils ne peuvent pas faire d’efforts de réductions supplémentaires sans des risques de production et des pertes de compétitivité importants. Il n’est donc pas complètement étonnant que les Etats-membres aient hésité à l’inscrire dans leurs éco-régimes, et aient préféré financer les efforts faits par les agriculteurs par des mesures agro-environnementales (MAEC) du 2nd pilier.
Figure extraite du rapport commandité par le Parlement européen
Plus largement, les auteurs du rapport commandité par le Parlement européen sont sceptiques sur les bénéfices qu’apporteront les éco-régimes. Ils estiment que la façon dont les Etats-membres vont chercher à atteindre les objectifs du Green deal reste floue, malgré les argumentaires fournis dans les PSN.
Le constat est le même du côté de l’IEEP qui a travaillé sur les PSN de la France, l’Espagne, la Pologne et l’Allemagne et qui conclut que dans la plupart des cas, les éco-régimes sont construits de façon à ce que les agriculteurs puissent bénéficier des paiements sans avoir à modifier (ou sinon seulement à la marge) leurs pratiques agricoles. Le rapport Birdlife-Nabu-EEB va dans le même sens, en avançant que les éco-régimes récompenseront des améliorations mineures ou à très petite échelle. « Dans ces conditions, il semble très peu probable que la PAC apporte une contribution substantielle à l’objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 ».
Quel est le problème des aides couplées selon les ONG environnementales ?
Au-delà du manque d’exigences des éco-régimes, les ONG environnementales critiquent également les soutiens aux aides couplées animales. Le Règlement européen stipule que chaque Etat-membre peut dédier une part des paiements directs aux aides couplées tant que cette part est inférieure à 13% (+2% pour les protéines végétales). Or, on observe que par rapport à 2019, la part que les Etats-membres dédient aux aides couplées est en augmentation : elle passe de 10.8% en 2019 à 12.3% pour 2023-2027. Certains Etats-membres qui historiquement étaient pourtant peu favorables à ce type d’aides, comme l’Irlande ou l’Allemagne les ont ajoutées à leur PSN. Seuls les Pays-Bas n’ont pas d’aides couplées sur la programmation à venir.
Le rapport Birdlife-Nabu-EEB montre qu’une part majoritaire des aides couplées est dédiée au secteur bovins. Les auteurs dénoncent ces aides car ils estiment qu’elles contribuent à maintenir l’élevage ruminant, alors qu’il faudrait une réduction massive du cheptel bovin pour réduire les émissions de méthane.
Figure extraite du rapport de Birdlife, EEB et Nabu
L’IEEP reprend les mêmes arguments en insistant sur le fait que même si les aides couplées à l’élevage sont soumises à des plafonds d’UGB (Unité Gros Bovins) par exploitation, et à des taux maximums de chargement à respecter, elles bénéficient quand même aux exploitations qu’ils qualifient d’industrielles. Les auteurs proposent la sortie des aides couplées pour les bovins et défendent même la mise en place de nouvelles interventions plus incitatives pour limiter drastiquement les émissions de GES dues à l’élevage.
A première vue, les PSN ne font donc pas l’unanimité et les impacts attendus semblent discutables. On attend les premières évaluations des applications nationales. Il ne faut cependant pas s’attendre à ce qu’on ait des réponses à toutes nos questions sur les effets ou même les premiers résultats des PSN : les indicateurs proposés par les Etats-membres sont loin d’être complets et les valeurs cibles à atteindre n’ont pas toujours été communiquées dans les PSN.