Suite aux manifestation d’agriculteurs et aux prises de position virulentes des syndicats agricoles, un peu partout en Europe, l’exécutif bruxellois, sous la pression aussi des Etats et de l’échéance électorale de juin, a proposé dès le 15 mars dernier une révision du Règlement européen sur les PSN ainsi que du Règlement horizontal sur les contrôles et pénalités. Les révisions ont été entérinées par le Comité spécial de l’agriculture le 26 mars. Pour une mise en œuvre finale, qui pourrait avoir lieu d’ici la fin du printemps, il faut l’accord du Parlement dont une session plénière est prévue fin avril (ce sera la dernière avant les élections européennes), puis une adoption formelle par le Conseil des ministres de l’agriculture, et la publication au Journal Officiel. Il est stipulé que les dispositions des Règlements ainsi révisés pourront être applicables dès le lendemain de la publication au Journal Officiel. On voit ainsi que les règles peuvent bouger très vite quand la volonté politique et la pression de la rue sont présentes.
L’objectif annoncé dans cette révision express de la PAC est la réduction des charges administratives et la simplification des contraintes, se traduisant de fait aussi par un allégement assez considérable de celles-ci. Il est argumenté notamment que certaines obligations de la conditionnalité environnementale, les Bonnes conditions agricoles et environnementales (BCAE) peuvent par leur rigidité ne pas avoir les effets positifs escomptés sur l’environnement et impacter fortement la viabilité des exploitations dans certaines circonstances.
La réforme de la PAC propose ainsi les évolutions suivantes :
Dans la BCAE 6, qui concerne la couverture obligatoire des sols en périodes hivernales, plus de souplesse est introduite. La Commission laisse les Etats membres décider quels sols protéger et à quelles périodes, en fonction des spécificités pédoclimatiques locales. L’argument est que des obligations trop strictes peuvent contribuer à détériorer la qualité des sols au lieu de les protéger, par exemple si cela implique de semer des couverts végétaux à une période où les sols sont détrempés.
La révision de la BCAE 7 introduit également la possibilité pour les États de choisir la diversification plutôt que la rotation des cultures afin de, selon le texte de la Commission « favoriser la simplification», compte-tenu des « pressions multiples et des défis » auxquels certains agriculteurs font face. On revient donc à l’obligation de diversification appliquée dans le verdissement de 2014 (2 cultures pour les exploitations ayant entre 10 et 30 ha de terres arables, 3 cultures pour les exploitations de plus de 30ha, avec un seuil maximum pour les cultures majoritaires et des exemptions pour les exploitations ayant plus de 75% de prairies permanentes et les exploitations de moins de 10ha de terres arables).
La part minimale de 4% des surfaces arables devant être dédiée aux surfaces ou éléments non productifs (dont font partie les jachères) est supprimée de la BCAE 8. Ne reste plus que l’obligation de maintien des particularités topographiques existantes et l’interdiction de tailler les haies et les arbres pendant la période de nidification et de reproduction des oiseaux. Le nouveau texte encourage plutôt les Etats membres à introduire des incitations à créer de nouvelles surfaces non productives via les écoregimes (c’est ce qu’a fait la France dans son écorégime par la voie d’accès « éléments favorables à la biodiversité »).
La BCAE 9, qui interdit le retournement des prairies permanentes dans les zones sensibles Natura 2000, assouplit le dispositif, notamment si des espèces invasives ont colonisé certaines prairies ou en zones de déprise animale.
Enfin, si le texte réaffirme que les exigences de la conditionnalité s’appliquent à toutes les exploitations, il exempte cependant les petites exploitations de moins de 10 hectares des contrôles de la conditionnalité et de pénalité en cas de non-conformité. Sa justification est triple : cette disposition concerne 65 % des bénéficiaires de la PAC mais seulement 10 % des surfaces. Elle n’aurait donc qu’un impact limité sur l’environnement. De plus elle permet d’apaiser le mécontentement d’une large majorité d’agriculteurs, très remontés contre les contrôles. Et enfin, elle contribue à réduire la charge financière des contrôles pour les administrations nationales, notamment dans les Etats membres d’Europe centrale et du Sud où les petites exploitations sont très nombreuses.
De façon générale, il faut souligner que la réforme autorise les Etats membres à déroger temporairement et de manière ciblée aux obligations de la conditionnalité en cas d’aléas climatiques. Par exemple, si des inondations ont affecté certaines zones, les obligations de semer des couverts végétaux avant certaines dates pourront être levées. Une fois par an, les Etats membres devront informer la Commission des dérogations accordées mais n’ont pas à obtenir un accord préalable. C’est là aussi un large chemin ouvert pour des ajustements au cas par cas dont il n’est pas sûr qu’ils soient toujours justifiés.
Notons aussi que les États membres ont obtenu de pouvoir modifier leurs plans stratégiques deux fois par an, et non plus une seule fois. La justification est que les Etats puissent ainsi s’adapter à des circonstances changeantes, par exemple celles des conditions climatiques, mais aussi des prix.
Les intentions de réforme ne s’arrêtent pas là. Sont aussi en discussion, mais à un stade moins avancé (ce qui rend leur adoption avant les élections peu probable), les dispositions pour renforcer la position des agriculteurs dans la chaine d’approvisionnement alimentaire. Lors du Conseil européen des 21 et 22 mars 2024, réunissant les chefs d’Etat et de gouvernement des 27, le président Macron a plaidé pour la mise en place d’un système proche des lois Egalim à l’échelle européenne. Il s’agissait aussi pour lui de rendre crédible son annonce faite lors du Salon de l’Agriculture sur la mise en place de prix planchers.
La Commission européenne a produit un « non paper » sur ce sujet, encore confidentiel, mais accessible sur le site de la Représentation Permanente Néerlandaise auprès de la Commission européenne. En substance, ce document rappelle ce qui existe déjà pour assurer une meilleure marge de négociation des agriculteurs sur les prix face aux industriels et à la grande distribution, notamment la Directive sur les pratiques commerciales déloyales (2019) et des règles sur la transparence des marchés, les associations d’agriculteurs et la contractualisation dans le Règlement de l’Organisation commune de marché (OCM). Il propose la création d’un observatoire européen des coûts de production, des marges et des pratiques commerciales dans le secteur agroalimentaire, une révision du règlement OCM de façon à clarifier les règles de contractualisation tripartites, et une évaluation de la directive.
L’ensemble de ces annonces a été salué par le COPA-COGECA comme des « pas vers une agriculture plus flexible et soutenable », sans pour autant endiguer les manifestations d’agriculteurs. De nombreuses ONG de défense de l’environnement, elles, dénoncent une perte des acquis environnementaux et le faux semblant d’un allégement des obligations se cachant derrière l’objectif plus consensuel de la simplification.
Le risque à plus long terme est que les Etats frugaux (Allemagne, Pays Bas, Danemark pour ne citer qu’eux) qui ont du mal à mettre la main à la poche lorsqu’il s’agit du budget européen, exigent une baisse drastique du budget dédié à la future PAC, celle dont l’architecture est déjà en débat, au motif que son volet vert est largement affadi.