La PAC 2023-2027 est entrée en vigueur dans tous les Etats-membres de l’UE depuis un an désormais. Avec la mise en place du nouveau modèle de mise en oeuvre, chaque Etat a la responsabilité de son propre plan stratégique de mise en application de la PAC. Ces plans stratégiques nationaux (PSN) ont été validés par la Commission européenne courant 2022 et cette dernière a commandité en 2023, une analyse comparative des PSN des Etats-membres.
L’analyse des 28 PSN (il y en a deux pour la Belgique : Flandres et Wallonie) est ardue : les mesures de la PAC sont nombreuses, poursuivent souvent plusieurs objectifs et les conditions d’application dans les Etats-membres sont très différentes.
Les bureaux d’étude qui ont réalisé cette analyse comparative ont choisi de la mener par Objectifs spécifiques (OS). Pour rappel, il y a 9 OS dans la PAC actuelle, les OS1 à 3 ciblent le revenu des agriculteurs, la compétitivité et le partage de la valeur ajoutée ; les OS4,5 et 6 ciblent l’amélioration de l’environnement, du climat et des ressources naturelles ; les OS7, 8 et 9 portent sur les enjeux sociaux de l’agriculture, l’installation des jeunes, l’emploi et le développement rural, et la qualité de l’alimentation.
Le document d’évaluation est volumineux (plus de 1000 pages). Nous allons donc scinder la restitution de cette évaluation dans plusieurs actualités successives. Celle-ci, la première, se concentre sur l’OS1 (« Soutenir des revenus agricoles viables et la résilience dans l’ensemble de l’Union afin de renforcer la sécurité alimentaire »), qui rassemble les soutiens aux revenus et la gestion des risques. Le groupe de bureaux d’étude qui a mené l’évaluation y a ajouté les aides aux investissements, les interventions sectorielles, les soutiens à la coopération et les soutiens aux connaissances et la formation.
Commençons par le panorama global. 60% du budget total de la PAC sont alloués à l’OS1. Les EM dont la part des dépenses ciblées sur l’OS1 est la plus élevée sont : le Danemark (près de 85%), la Wallonie (plus de 80%), l’Irlande, la Lituanie, la Lettonie. La France est en 9ème position et les derniers du peloton sont Malte et les Flandres (moins de 40%).
L’analyse comparative cherche à répondre à 3 questions :
– Les mesures en place peuvent-elles permettre d’améliorer le revenu des exploitations agricoles ?
– Les aides au revenu ciblent-elles les exploitations les plus vulnérables ?
– Les mesures vont-elles encourager les exploitations à participer à des programmes de gestion des risques ?
Pour répondre, les auteurs s’appuient sur les choix faits en termes de mesures et d’enveloppes budgétaires et sur des indicateurs spécifiques qui ont été renseignés dans les plans stratégiques des EM.
Les mesures en place peuvent-elles permettre d’améliorer le revenu des exploitations agricoles ?
Une justification historique des aides au revenu de la PAC est d’assurer un niveau de vie équitable aux populations agricoles par un relèvement de leur revenu. L’étude revient sur ce point et montre qu’avec les années, le rattrapage entre le revenu des agriculteurs et le revenu moyen dans un même EM a effectivement lieu. En 2010, le revenu agricole était à 36% des salaires moyens en Europe, aujourd’hui il est monté à 49%. L’écart se réduit mais il reste important.
Il est intéressant de s’arrêter sur cette comparaison. L’indicateur utilisé est l’agricultural entrepreneurial income qui mesure le revenu provenant des activités et subventions agricoles, une fois payés les consommations intermédiaires, les taxes, les salariés, les charges locatives et les taux d’intérêt. La difficulté de cet indicateur est qu’il inclut à la fois la rémunération de la main d’oeuvre familiale non salariée (y compris du chef d’exploitation) via les dépenses de consommation, et l’autofinancement des investissements dans l’exploitation. Ce revenu agricole n’est donc pas comparable à un salaire.
Ensuite, l’analyse indique que les besoins identifiés et classés par ordre de priorité par les États-membres dans leurs plans stratégiques semblent bien refléter les problèmes qui affectent le secteur agricole et que les Etats-membres savent mobiliser les multiples mesures que la PAC offre pour y répondre : paiements de base, mais aussi aides couplées, paiement additionnel pour les Jeunes agriculteurs et paiement redistributif.
Sur les aides couplées, 21% des exploitations agricoles européennes bénéficient d’aide couplée mais il existe de grande disparités : elles sont plus de 50% en République tchèque, en Italie ou en France contre moins de 2% en Roumanie et en Irlande voire même 0 aux Pays-Bas qui ont choisi de ne pas distribuer d’aides couplées. L’analyse montre également qu’entre la programmation 2015-2020 et l’actuelle programmation 2023-2027, certains EM ont augmenté les montants distribués via les aides couplées (c’est le cas de la France, l’Espagne, l’Italie, la Pologne, le Portugal, la Grèce ou encore le Danemark). Dans tous les PSN (sauf l’Irlande, l’Italie et la Suède), les EM ont pris en compte la taille des structures dans la distribution des aides couplées en instituant des montants différentiels, des règles de dégressivité, ou des seuils maximaux d’animaux ou d’ha pour l’éligibilité. Enfin, notons que c’est le secteur de l’élevage ruminant qui concentre 70% des 23 milliards d’aides couplées européennes contre 30% pour les productions végétales, principalement les légumineuses.
L’analyse conclut que les dotations financières pour les paiements de base et les aides couplées augmentent dans la moitié des États membres par rapport à la programmation précédente et contribuent ainsi à la nécessité de soutenir les revenus agricoles.
Les aides au revenu ciblent-elles les exploitations les plus vulnérables ?
Une partie de l’OS1 porte sur la redistribution des aides notamment vers les petites exploitations agricoles (Nous ne traitons pas la question des zones avec des contraintes naturelles mais celle-ci est largement développée dans le rapport).
Sur la période 2023-2027, la majorité des EM n’applique pas de plafonnement des aides (19) ou de réduction des paiements par dégressivité (21). Seuls 5 EM ont choisi d’appliquer le paiement pour les petites exploitations, il s’agit de Malte, de la République tchèque, la Bulgarie, le Portugal et la Lettonie.
En revanche, le paiement redistributif est devenu obligatoire sur la période 2023-2027 et les EM doivent y dédier au moins 10% de l’enveloppe des paiements directs. La Lituanie, la République tchèque, la Croatie et la Hongrie ont appliqué en proportion les budgets les plus importants, ce qui n’est pour autant pas une garantie de redistribution efficace. En effet, les modalités (seuils de surprime et montants associés) sont laissées au libre arbitre des EM : plus le seuil de surprime est bas, plus les petites exploitations sont favorisées en €/ha. Le seuil de surprime de l’Italie est de 14 ha alors que celui de la Hongrie est à 150 ha (rappelons qu’en France le seuil est de 52ha).
Les mesures vont-elles encourager les exploitations à participer à des programmes de gestion des risques ?
L’analyse rappelle qu’il existe une grande variabilité du revenu agricole et que celle-ci a tendance à s’aggraver. Elle est mesurée par un ratio entre un revenu national agricole en année N et la moyenne de ce revenu sur les 3 années précédentes. Les auteurs montrent qu’en 2010 le ratio était de 1,11 à l’échelle de l’UE contre 1,17 en 2019. En France, il est proche de 1 traduisant une stabilité relative à l’échelle nationale, probablement liée à la diversité des productions agricoles en France, un mauvais résultat dans un secteur pouvant être compensé par un bon résultat dans un autre.
Dans 22 PSN, un besoin fort a été exprimé sur le renforcement des outils de gestion des risques. L’indicateur R.5 calcule la part des exploitations qui sont soutenues par des outils de gestion des risques. En France, ce taux atteint 95% et 70% en Italie. Les autres Etats-membres sont loin derrière même si par rapport à la précédente programmation, la proportion d’exploitations protégées par un instrument PAC de gestion des risques augmente. En Suède, au Danemark, en Slovénie, Irlande, et Finlande, cette proportion est de 0 (régimes d’assurance national ou marché privé).
14 EM ont choisi d’assurer leurs exploitations via le secteur privé, et une minorité y ont ajouté les fonds de mutualisation (c’est le cas de la France).
En termes de soutiens sectoriels choisis par les EM, il est à noter que la plupart concernent la prévention des crises et la gestion des risques (retrait du marché, récolte en vert, non récolte par exemple) pour le secteur fruits et légumes, ou la préservation du revenu des producteurs après une catastrophe naturelle et l’augmentation de la résilience face à la volatilité des marchés pour le secteur viti-vinicole.
En conclusion, les auteurs de l’étude affirment que l’OS1 est plutôt bien préservée par les PSN. Ce sont l’Estonie, la Finlande, la France, la Croatie et la Slovénie que donnent le plus d’importance à l’OS1.
Tous les Etats-membres mettent en place des politiques plutôt généreuses de soutien au revenu même ceux dont l’écart entre le revenu agricole et le revenu moyen dans les autres secteurs est faible. Les exploitations les plus vulnérables bénéficient d’aides plus avantageuses. Enfin, malgré des disparités fortes, l’effort conjoint des PSN qui consacrent des fonds à la gestion des risques devrait permettre à 14 % des exploitations agricoles de l’UE de bénéficier d’une protection face au risque.