C’est la question posée au Conseil d’Analyse Economique (CAE) par le premier ministre et à laquelle ont répondu trois économistes spécialistes de politique agricole et de commerce international : Jean-Christophe Bureau d’Agro-Paris-Tech, Lionel Fontagné de Paris School of Economics et Sébastien Jean de l’Inra et du CEPII. En effet, on entend souvent dire que la France agricole se caractérise par un coût du travail trop élevé et une réglementation contraignante, ce qui explique (ou justifie ?) la « contre-performance » de l’agriculture française.
Les causes de la « contre-performance » et sa justification
Dans une note du CAE parue fin décembre 2015, J-C Bureau, L. Fontagné et S. Jean reviennent sur les justifications du manque de compétitivité et d’efficacité de l’agriculture française (Focus de la Note CAE n°27). Ils mettent en avant une performance commerciale à l’international qui s’érode (la part de la France dans les exportations mondiales agricoles et agro-alimentaires a diminué d’environ 30% entre 2000 et 2014), et une baisse de l’emploi agricole qui s’accompagne aussi de revenus faibles, voire très faibles, dans certains secteurs et qui dépendent très largement des soutiens de la PAC.
Même s’il est vrai que la réglementation française en matière d’environnement est complexe, coûteuse (aussi bien pour les agriculteurs que pour les administrations) et que les écarts de coûts du travail au sein de l’UE sont très significatifs dans les secteurs à forte intensité de main d’œuvre ou dans la transformation animale, les auteurs démontrent que ces explications ne suffisent pas.
Ils reviennent sur la prédominance des petites structures agricoles, (peu ou pas d’économies d’échelle) et la mauvaise coordination des filières d’aval qui nuisent à l’adoption des nouvelles pratiques culturales, au progrès technique et aux relations avec l’industrie de seconde transformation et la distribution. La formation hétérogène des agriculteurs, le manque d’impulsion stratégique dans le secteur de l’industrie agro-industrielle et les choix de compétitivité hors‐prix qui laissent aux concurrents les positions de moyenne et basse gammes, participent aussi aux mauvaises performances du secteur.
Dans ce contexte, comment mieux orienter les politiques publiques et la PAC ?
Les mêmes auteurs ont ensuite proposé une série de recommandations dans une note intitulée « l’agriculture française à l’heure des choix ». Avec la réforme de 2015, les Etats-membres ont gagné en flexibilité dans l’application nationale de la PAC. La France a choisi une voie moyenne sur la plupart des critères, avec cependant trois options marquées :
- Le couplage des aides agricoles (CAPeye propose un cours sur inscription sur le couplage des aides, accéder aux cours experts)
- Le paiement aux jeunes agriculteurs (il faut toutefois rappeler que même si les ambitions françaises pour les Jeunes Agriculteurs étaient clairement évoquées, la part dans le budget national de ces aides n’est que de 1% alors qu’elle pouvait selon les règlements européens atteindre 2%),
- La surprime aux 52 premiers hectares (mais qui s’accompagne d’une levée des obligations sur le plafonnement et la dégressivité des aides directes).
(pour revoir les choix français, accéder à la page CAPeye « Application de la PAC en France« )
Les auteurs estiment que le manque d’orientation claire de la politique agricole se traduit par des mesures dont les effets se neutralisent et proposent un ensemble de recommandations pour recentrer la politique agricole sur des objectifs clés à long terme.
Le rapport aboutit à 7 recommandations :
- Faire de la préservation du capital naturel un axe central de la politique agricole ; cibler plus directement la performance environnementale en remplaçant les aides indifférenciées et l’éco-conditionnalité par une rémunération des aménités, qui pourrait être différenciée géographiquement.Les auteurs proposent de cibler les aides sur les résultats, ce qui renvoie aux difficultés d’évaluation de ces résultats et de leur mesure.
- Développer les recherches sur les nouvelles techniques de sélection en s’attachant à les mettre au service d’une agriculture en phase avec des régulations biologiques, et promouvoir l’innovation ouverte (portails, open data).
- Faire du réseau de lycées agricoles un pionnier de l’enseignement numérique. Permettre une formation continue plus poussée des agriculteurs via des congés individuels de formation et en s’appuyant sur l’enseignement supérieur agricole pour former des managers d’exploitations agricoles de haut niveau.
- Aider les acteurs à promouvoir ensemble un petit nombre de labels valorisant des atouts des produits français comme le contrôle sanitaire, la traçabilité intégrale, l’absence d’antibiotiques, de promoteurs de croissance et le respect de l’environnement ou du bien-être animal.
- Privilégier des critères directement liés aux externalités dans le ciblage des aides et agir pour une réorientation dans ce sens au niveau européen. Ne pas pénaliser a priori l’agrandissement des structures s’il ne génère pas d’externalités négatives (gestion des effluents, gestion de la biodiversité). Favoriser la mise en commun de moyens de production.
- Privilégier le lissage fiscal, voire le report d’emprunts et de charges sociales sur plusieurs années comme outil de stabilisation au niveau national. Au niveau communautaire, réduire les incitations à se spécialiser sur un très petit nombre de cultures.
- A l’horizon 2020, agir au niveau communautaire pour réduire progressivement les aides sur les surfaces (« paiements de base » et « paiement verts ») au profit de budgets ciblant les biens publics ou des objectifs sociaux. Évoluer vers des paiements aux résultats, contractuels et non transférables et plafonner les paiements individuels qui ne rémunèrent pas la production d’un bien public.
Les rapports :
Lecole Pauline et Thoyer Sophie