Le Parlement européen et le Conseil des ministres de l’UE ont voté en fin d’année 2021 la version définitive de la PAC qui entrera en vigueur au 1er janvier 2023, concluant ainsi des négociations qui avaient commencé en juin 2018.
Mais les Etats-membres n’ont pas attendu ce vote final pour travailler sur leur Plan Stratégique National. La France, comme indiqué dans notre actu du 25 juin sur les écorégimes, a publié une première version de son PSN dès le mois de mai. Une deuxième version plus aboutie, et notamment beaucoup plus précise sur les modalités de mise en oeuvre a été rendue publique en octobre et mise à la consultation publique du 13 novembre 2021 au 12 décembre 2021 inclus. Suite à cette consultation, et après des ajustements de dernière minute, le Ministère français de l’agriculture a transmis une version de son PSN à la Commission européenne fin décembre pour validation. A noter que neuf Etat-Membres ont manqué l’échéance de fin décembre et rendront donc leur copie avec retard (Belgique, Bulgarie, République Tchèque, Allemagne, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Roumanie et Slovaquie).
Quoi de neuf dans la nouvelle version du PSN ?
En matière d’éligibilité aux aides, une des nouveautés devait être que seuls les agriculteurs non retraités ou n’ayant pas atteint l’âge légal de départ à la retraite à taux plein (67 ans) pourraient bénéficier des aides directes et de l’Indemnité compensatoire de handicaps naturels. Ce ciblage visait à encourager le renouvellement des générations et dans l’idéal devait être accompagné d’une revalorisation de la retraite agricole. Au dernier moment, le Ministère a renoncé à cette disposition, dénoncée par certains syndicats comme trop pénalisante pour les agriculteurs ayant des petites retraites.
Des aides à l’installation renforcées
Le renouvellement des générations sera assuré comme dans la précédente programmation d’une part dans le premier pilier par un paiement additionnel annuel (au maximum sur les 5 premières années suivant l’installation) aux jeunes agriculteurs et d’autre part dans le second pilier par une dotation à l’installation. Ces deux mesures sont réservées aux agriculteurs qui s’installent, à condition qu’ils respectent des conditions de formation agricole, et qu’ils soient âgés de moins de 40 ans. Or on observe depuis plusieurs années un engouement pour des installations agricoles suite à une reconversion professionnelle avec des porteurs de projet souvent âgés de plus de 40 ans. Le PSN reconnaitra ces exploitants comme « nouveaux agriculteurs » (moins de 55 ans) et des aides à l’investissement leur seront proposées via le second pilier.
Côté budgétaire, l’enveloppe du paiement additionnel aux jeunes agriculteurs du 1er pilier a été augmentée de 50% par rapport à la précédente programmation et représentera donc 1,5% de l’enveloppe des aides directes. Cela peut sembler peu compte tenu de l’importance de l’enjeu, mais le Ministère estime que ce paiement additionnel sera en moyenne de 3900€ par exploitation, ce qui peut représenter plus de 20% des aides directes découplées d’une exploitation moyenne avec un éco-régime de niveau 1 dirigée par un jeune agriculteur.
En plus du paiement de base (48% de l’enveloppe des aides directes), du paiement redistributif (maintenu pour les 52 premiers hectares, 10% de l’enveloppe) et du paiement additionnel pour les jeunes agriculteurs (1,5% de l’enveloppe), on retrouvera dans les aides du premier pilier des aides couplées (15% de l’enveloppe) et les éco-régimes (25% de l’enveloppe entre 2023 et 2027, avec la possibilité de n’y consacrer que 20 % les deux premières années pour amorcer la transition). Revenons plus précisément sur ces deux derniers dispositifs.
Aides couplées : des évolutions fortes sur l’élevage
Même si la plupart des aides couplées restent globalement inchangées, on note deux nouveautés majeures dans la nouvelle programmation :
- Une aide couplée au petit maraîchage qui sera versée sur les hectares en fruits et légumes (sauf hors sol).
L’objectif est de favoriser aussi les circuits courts et l’approvisionnement de proximité. Cette aide répond à la demande pressante, portée notamment par la Confédération Paysanne d’aider les maraichers, qui le plus souvent travaillent sur de très petites surfaces et n’ont du coup droit qu’à des aides directes très faibles au regard des services qu’ils rendent pour l’approvisionnement en légumes bio, souvent en circuits courts. Le PSN estime que l’aide concernera entre 1500 et 3000 producteurs (installés sur au minimum 0,5ha de légumes frais ou petits fruits et au maximum 3ha). Le montant de l’aide sera uniforme par hectare éligible et est estimé en moyenne à 1500€/ha. Il apparaît particulièrement élevé par rapport à d’autres aides couplées mais rappelons qu’il concernera des exploitations dont les surfaces éligibles seront au maximum de 3ha.
- L’aide couplée bovine résulte de la fusion de l’aide couplée aux vaches laitières et de l’aide couplée aux vaches allaitantes. Les montants seront désormais calculés sur les UGB (Unité gros bovin) et non par tête. Les mâles comme les femelles (de plus de 16 mois) seront primés. L’ajout des mâles dans le système de prime vise à favoriser l’engraissement dans les exploitations et ainsi limiter les exportations de broutards vers l’Espagne ou l’Italie. Deux montants sont prévus :
- un premier montant élevé (110€/UGB) pour les mâles de toutes races et pour les femelles de race à viande (maximum de 120 UGB et un chargement maximum de 1,4 UGB par ha de surfaces fourragères)
- un second montant plus bas (60€/UGB) pour les vaches laitières ou mixtes et pour les mâles issus d’élevage type « engraisseurs spécialisés » (maximum de 40 UGB).
Dans cette nouvelle mouture d’aide couplée aux bovins on ne retrouve plus les montants dégressifs en fonction du nombre d’animaux. Des conditions de plafonds et de chargements les remplacent et elles devraient abaisser les montants voire les rendre inaccessibles pour les grands élevages intensifs. Globalement, ces évolutions devraient se traduire par une baisse des aides couplées à l’élevage bovin (qui peuvent aussi se justifier par le souci de ne pas trop subventionner des élevages ayant un impact négatif sur le climat).
Les trois voies des écorégimes
Les éco-régimes seront accessibles pour les agriculteurs volontaires par trois voies possibles. Le tableau ci-dessous les résume :
Pour plus de précisions sur les conditions des trois voies, voici un extrait du PSN (décembre 2021)
La nouveauté par rapport à la publication du PSN de septembre est l’introduction d’un bonus haies de 7€/ha éligible qui peut venir compléter les voies « pratiques » et « certification environnementale» lorsque l’exploitant agricole démontre, par une certification dont les principes doivent être précisés, qu’il gère durablement ses haies qui doivent couvrir au moins 6% de sa SAU.
Le Ministère français a donc résolument opté pour un programme d’éco-régimes qu’on peut qualifier de « wide and shallow », autrement dit susceptible de permettre à quasiment tous les agriculteurs de rentrer, du moins dans le niveau bas, sans beaucoup d’efforts. L’objectif, selon le Ministère, est « d’atteindre un effet quantitatif significatif en mobilisant un maximum d’agriculteurs » de façon à créer un effet de masse et une dynamique positive d’entrainement. Mais de nombreuses associations de défense de l’environnement s’interrogent sur cette stratégie qui peut de fait favoriser l’immobilisme alors qu’une stratégie « deep and narrow » favorisant des engagements plus ciblés et plus exigeants, au risque de ne pouvoir inclure que les exploitants les plus motivés, aurait pu garantir plus de résultats environnementaux. Le fait que les certifications AB et HVE 3 soient mises sur le même plan peut freiner le changement d’échelle de l’AB, pourtant annoncé comme un résultat attendu fort du PSN.
Les nouveautés du second pilier
En restant sur les ambitions environnementales du PSN français mais du point de vue du second pilier, on note l’introduction de mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) dites forfaitaires, c’est à dire payées par exploitation et non par hectare souscrit. Elles sont deux dans ce cas :
- La MAEC « transition des pratiques » : l’objectif de cette MAEC est de tenir compte du risque de perte de revenus associé à une transition vers d’autres systèmes que l’AB. L’approche choisie est intéressante : à partir d’un diagnostic agroécologique de l’exploitation, il faut atteindre progressivement un objectif fixé et personnalisé d’ici 5 ans. Il s’agit donc d’une MAEC à obligation de résultats. La rémunération sur base forfaitaire sera déterminée à partir des caractéristiques moyennes des exploitations agricoles française (SAU moyenne notamment). Les objectifs (à prioriser par les Régions) sont : la réduction des pesticides d’au moins 30%, l’amélioration du bilan carbone d’au moins 15%, l’amélioration de l’autonomie protéique de l’élevage
- La MAEC « systèmes forfaitaires » : L’aide prend la forme d’une aide forfaitaire versée annuellement. Elle s’appuie sur un engagement contractuel d’une MAEC système (impliquant toutes les surfaces de l’exploitation).
Enfin et pour finir ce tour d’horizon général, les aides à la gestion du risque sont conservées dans le second pilier (assurance récolte, fonds de mutualisation). Depuis 2014, il était possible d’utiliser l’ISR, l’instrument de stabilisation des revenus. Cet outil sera mobilisé dans le cadre de la filière betteraves sucrières pour la prochaine programmation. Son objectif est, dans le cadre de la fin des quotas sucriers et de la volatilité accrue du prix du sucre sur les marchés mondiaux, de limiter les conséquences de pertes de revenu pour les betteraviers (seuil de déclenchement quand une perte de revenu annuel est observée d’au moins 20% par rapport aux trois dernières années).
Que va-t-il se passer désormais ?
Le PSN français n’a pas été particulièrement bien reçu et tout particulièrement par les acteurs défendant les enjeux environnementaux. Les éco-régimes ont largement concentré les critiques faites au PSN. L’avis rendu par l’Autorité Environnementale le 22 octobre 2021 n’est pas très encourageant. Elle estime que le niveau d’ambition environnementale n’est pas suffisant et ne permet pas de placer la France sur la trajectoire qui lui permettrait d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés en terme de stratégie bas carbone, du plan biodiversité ou de la directive cadre sur l’eau. Cet avis rejoint celui de la Cour des comptes dans son rapport « Accompagner la transition agro-écologique » publié en octobre 2021. Le projet français est désormais dans les mains de la Commission européenne qui doit l’évaluer. La Commission européenne a promis de faire un retour à tous les Etats membres sur leur PSN dans le premier trimestre de 2022 pour que la version finale des PSN puisse être approuvée officiellement avant l’été, de façon à donner de la visibilité aux exploitants agricoles dans la planification de leurs activités. C’est le ministre Julien Denormandie qui présidera les Conseils Agriculture et Pêche de l’UE pour les prochains 6 mois: le premier de 2022 est programmé le 17 janvier à Bruxelles.