En 2017, un sondage commandité par le CEVIPOF et Le Monde indiquait que les agriculteurs avaient le plus fort taux d’intention d’abstention au vote des présidentielles parmi les principales catégories socio-professionnelles (50%). En 2022, le sondage du CEVIPOF en partenariat avec Ipsos-Sopra Steria estime que 45% des agriculteurs iront voter au 1er tour. Ce sondage a été réalisé en février, avant les évènements récents en Ukraine qui pourront remobiliser une partie de l’électorat.
En 2017, Marine Le Pen et François Fillon occupaient le haut du classement des intentions de vote des agriculteurs. En 2022, Emmanuel Macron arrive en tête, en rassemblant 29% des intentions de vote du monde agricole, suivi par Eric Zemmour (24%), au détriment de Marine Le Pen avec 10%, puis par Jean-Luc Mélenchon (13%). Le parti républicain de Valérie Pécresse se voit relégué en bas de classement avec 7% des intentions de vote.
Dans cette actu, nous faisons un petit tour d’horizon des programmes des trois candidats placés premiers dans ce sondage. Emmanuel Macron, qui s’est déclaré très récemment n’a pas encore de programme consultable en ligne mais on peut s’appuyer sur les déclarations de son ministre de l’agriculture, Julien Denormandie, et sur les initiatives défendues par le gouvernement en France et à Bruxelles sur le dernier quinquennat pour donner une idée assez claire de ses orientations futures. Le programme d’Eric Zemmour tient un une page, celui de Jean-Luc Mélenchon, déjà très argumenté en 2017, s’est encore étoffé.
Emmanuel Macron : l’agroécologie pour aller vers la souveraineté alimentaire ?
Le programme en ligne d’Emmanuel Macron est encore celui de 2017. Il est intéressant de le relire au regard de ce qui a été effectivement accompli.
Un premier objectif annoncé était d’assurer des prix justes garantis aux agriculteurs en renforçant le poids des agriculteurs dans les négociations commerciales avec les industries agro-alimentaires et la grande distribution. Sur ce point, le gouvernement a organisé les Etats généraux de l’alimentation en 2017, et a promu la loi Egalim. Face à l’échec d’Egalim 1 de 2018, peu respectée, Egalim2 a été promulguée en 2021 pour une mise en application en 2022. Elle contient, entre autres, des obligations liées à la contractualisation de vente sur 3 ans des produits agricoles incorporant des clauses de prix et de révision des prix fondées sur des indicateurs des coûts de production des agriculteurs, et imposant la transparence sur le coût des matières premières. A ce stade , il est encore difficile d’appréhender les résultats d’Egalim2 mais la reconnaissance des organisations de producteurs (et d’associations d’organisations de producteurs) comme parties prenantes de la contractualisation facilitera le renforcement du pouvoir des agriculteurs et est désormais permise par Bruxelles.
Le gouvernement a aussi annoncé en 2017 sa volonté de protéger les agriculteurs contre la volatilité des prix et des rendements, en renforçant les outils de gestion des risques. Cet objectif est aussi porté par la PAC qui subventionne en partie les cotisations des agriculteurs pour les assurances récolte et qui soutient le fonds de mutualisation sanitaire et environnemental en France. Notons qu’au printemps 2021 face à l’intense épisode de gel, l’Etat français a ouvert exceptionnellement le régime des calamités agricoles aux viticulteurs. Et le Parlement a adopté le 24 février dernier une loi pour rendre plus opérationnels les outils de gestion des risques climatiques.
Dans la réforme de la PAC de 2023-2027, il a soutenu la mise en place d’un fonds de mutualisation spécifique pour les betteraviers, dans l’optique aussi de les aider à passer la cap de la fin des quotas sucriers et de faire face à la possible restriction d’usage des néonicotinoïdes. Cet instrument de stabilisation des revenus (ISR) est une expérimentation en France.
Toujours dans le cadre français, le gouvernement a mis en place un droit au chômage étendu, plutôt reçu avec scepticisme par la FNSEA : depuis novembre 2019, les exploitants agricoles peuvent bénéficier de l’allocation chômage des travailleurs indépendants sous certaines conditions (notamment procédure de liquidation ou de redressement judiciaire de l’entreprise). Cette mesure a eu peu d’échos dans le monde agricole. Enfin, à partir de novembre 2021, les retraites agricoles les plus faibles ont été revalorisées à 85% du SMIC net agricole, soit juste au-dessus de 1000€ par mois.
Le gouvernement a aussi cherché à peser sur la future PAC. Le programme d’Emmanuel Macron faisait référence au droit à l’erreur, notamment en ce qui concerne les déclarations PAC des agriculteurs. Celui-ci a été largement discuté dans les négociations pour la PAC post-2020. Même s’il a été reconnu, il n’apparaît pas encore dans les textes (règlements européens ou PSN français).
Un autre cheval de bataille d programme d’Emmanuel Macron de 2017 était la convergence sociale et fiscale à l’échelle de l’UE pour les activités agricoles. Les règlements pour la PAC de 2023 incluent une conditionnalité sociale afin d’assurer des conditions de travail correctes aux salariés agricoles dans toute l’Europe, mais les discussions n’ont pas été jusqu’à l’enjeu de convergence entre Etats membres.
Sur la question environnementale, le programme de 2017 défendait la rémunération des agriculteurs pour leurs services environnementaux. Les éco-régimes peuvent s’inscrire dans ce cadre, mail il faut souligner que le choix du plan stratégique national français de privilégier une approche « pour tous », au final peu exigeante, et alignant la certification HVE sur la bio, questionne l’ambition environnementale de ce gouvernement.
Le programme de 2017 proposait un « calendrier prévoyant l’élimination progressive des pesticides ». Les revirements sur le glyphosate et les néonicotinoides, dont l’élimination était planifiée pour 2020, et qui ont bénéficié de mesures d’exemption depuis, ont largement écorné la crédibilité de cet engagement. Rappelons qu’il avait été promis un « plan de transformation agricole de 5 milliards d’euros sur 5 ans » pour privilégier les exploitations ayant un impact positif sur l’environnement et le bien-être animal, et le développement des circuits courts. Ces financements devaient aller pour 3 milliards vers l’amont des filières agricoles et forestières, et pour 500 millions dans l’innovation des filières. Avec la crise Covid, et le budget du plan de relance, difficile de savoir comment ce plan a été effectivement réalisé et s’il a permis d’atteindre ses objectifs. Aujourd’hui, Julien Denormandie met plus l’accent sur l’objectif de souveraineté alimentaire que sur la « transition agro-écologique » qui n’est, selon lui, que l’un des moyens d’y parvenir !
Sur le renouvellement des générations et les petites exploitations, un effort a été mis sur l’installation des jeunes, avec un budget en hausse, mais la convergence interne des aides et la prime redistributive ne seront pas augmentée par rapport à la programmation précédente. Les enjeux d’accès au foncier agricole (« nous renforcerons la transparence des transactions agricoles, et nous assurerons le financement du foncier ») ont été en partie pris en charge par la loi du 23 décembre 2021 instaurant un contrôle des prises de participation dans le capital des sociétés détenant du foncier agricole pour lutter contre la concentration et l’accaparement de terres.
Eric Zemmour : des intentions plus qu’un programme à ce stade
Le programme agricole d’Eric Zemmour est axé sur trois grandes priorités. La première vise à « permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier ». Pour cela, il défend deux axes seulement : il propose de mettre fin aux regroupements de plusieurs enseignes en centrales d’achat communes, c’est par exemple le cas de l’alliance entre Système U et Auchan ou encore entre Intermarché et Casino. L’objectif de ces regroupements est de diminuer leurs coûts d’approvisionnement pour a priori diminuer les coûts à l’achat du consommateur. Mais ce résultat n’a pas été particulièrement flagrant. En revanche, la conséquence de ces regroupements est une concentration toujours plus forte du pouvoir de négociation de la Grande Distribution dans le partage de la valeur ajoutée. Eric Zemmour propose aussi de privilégier les circuits-courts en augmentant la part de produits locaux dans la restauration collective. C’est déjà une partie la mission des Projets Alimentaires Territoriaux (PAT) qui se développent aujourd’hui sur tout le territoire français.
La seconde priorité est de « protéger les agriculteurs contre la concurrence déloyale des producteurs étrangers, en interdisant les importations de produits agricoles non conformes aux standards européens ». Cette question des clauses miroirs est largement discutée en ce moment à Bruxelles. Elle se concentre sur trois aspects principaux : les hormones et l’antibio-résistance, les limites maximales de résidus pour les pesticides, le bien-être animal et la traçabilité. L’interprofession de la viande bovine demande par exemple de la traçabilité des animaux provenant d’Amérique du sud pour identifier ceux provenant de zones déforestées. Eric Zemmour propose aussi de « mettre fin à la participation de la France aux négociations actuelles et futures des traités de libre-échange ». Il n’explique pas clairement comment il compte s’y prendre sans faire sortir la France de l’UE, puisque le commerce international est une prérogative exclusive de l’Union. Sur ce point, il se démarque clairement du programme macroniste.
Enfin, la troisième priorité est d’« encourager l’innovation et le renouvellement des générations ». Il propose le développement de la robotique pour « réduire la dépendance à la main d’œuvre étrangère et l’utilisation des produits phytosanitaires ». On peut ajouter que ces innovations peuvent également réduire la pénibilité de l’activité agricole. Ces innovations se développent mais posent tout de même la question des capacités d’investissement des agriculteurs, à laquelle Eric Zemmour ne répond pas directement dans son programme. Eric Zemmour propose aussi d’encourager l’installation de nouveaux producteurs notamment en AB et d’augmenter la Dotation aux Jeunes Agriculteurs (aides du second pilier de la PAC) en simplifiant les procédures d’installation et d’accès au foncier. Là aussi, les détails manquent sur la façon dont il compte y parvenir.
Jean-Luc Mélenchon : la rupture vers l’agriculture paysanne et agro-écologique
Le programme de Jean-Luc Mélenchon est intitulé « Bien nourrir tout le monde » et vise à porter « un projet de rupture avec le modèle agro-industriel actuel » fondé sur une « agriculture écologique et paysanne ». Jean-Luc Mélenchon propose d’ailleurs de remplacer le Ministère de l’agriculture et de l’alimentation par un Ministère « de la Production alimentaire ».
Il envisage trois grands axes d’action. Le premier vise à éradiquer la faim en France (Jean-Luc Mélenchon évoque « les files interminables pour l’aide alimentaire [qui] témoignent d’une précarisation alimentaire massive »), et la malbouffe, en garantissant un accès à tous à une alimentation de qualité : améliorer le pouvoir d’achat par l’augmentation du SMIC ; mettre en place un « bouclier qualité prix » par un encadrement négocié et permanent d’un panier de produits de 1ère nécessité et de consommation courante ; rendre gratuites les cantines scolaires, et interdire des additifs alimentaires les plus controversés.
Le second propose de « mener la bifurcation écologique du système de production agricole pour protéger l’environnement et la santé humaine ». Pour cela, Jean-Luc Mélenchon compte s’appuyer fortement sur les Projets alimentaires territoriaux (avec un budget renforcé) qui existent déjà, d’interdire définitivement les néonicotinoïdes et le glyphosate et d’amorcer la sortie définitive des fermes-usines d’élevage. Enfin, le dernier axe concerne le soutien aux paysannes et paysans, notamment en améliorant leur santé financière, en les aidant à se désendetter, en instaurant des tarifs planchers sur les produits agricoles (« qui empêchent la grande distribution de plonger les producteurs dans la misère ») mais aussi des prix maximum (« pour limiter les marges de la transformation et de la grande distribution »). Il est prévu de promouvoir la relocalisation de la production par l’instauration d’une taxe kilométrique, qui pourrait rapporter 3,5 milliards d’euros selon les chiffrages du programme, et la mise en place d’un prix minimum d’entrée sur certains produits agricoles intensifs en travail. Par exemple, le programme de Jean-Luc Mélenchon propose que ne soient admis sur le marché national que les lots d’importation de fruits et légumes dont le prix sera égal ou supérieur au coût de production moyen de ce produit dans les conditions sociales et salariales françaises. A voir comment une telle mesure pourrait voir le jour, compte-tenu des complexités administratives, de l’inadéquation de cette mesure avec le principe du marché commun européen, et du risque de voir s’envoler les prix, ce qui est souvent le cas lorsqu’on indexe les prix sur les coûts.
Jean-Luc Mélenchon compte également mener une grande réforme agraire pour « atteindre l’objectif d’installer au moins 300 000 nouveaux paysan·nes porteur·ses de projets agroécologiques pendant le mandat ». Cela nécessite à son sens une « maitrise foncière publique » avec la création de nouveaux établissements publics remplaçant les SAFER actuelles et ayant des pouvoirs renforcés, avec une meilleure participation de la société civile.
Plus spécifiquement sur la PAC, il propose une redistribution forte des aides directes (dégressivité des aides à l’hectare, mise en place d’un plafonnement des aides, doublement du budget du paiement redistributif et la mise en place d’une aide forfaitaire aux petits agriculteurs). Ce dispositif existe dans la PAC depuis 2014-2020 (plafonné à 1250 €/exploitation/an) mais pour le moment n’a pas été mis en œuvre en France. Jean-Luc Mélenchon prévoit aussi de revisiter complètement le Plan Stratégique National, par exemple en sortant le label HVE des eco-régimes, et en augmentant les aides à l’AB et à la conversion à l’AB. Enfin, sur l’installation, il est prévu d’augmenter le budget à l’accompagnement et surtout d’ouvrir la Dotation aux jeunes agriculteurs à tous ceux qui souhaitent s’installer, sans limite d’âge.