Quelle est la place de l’agriculture dans les projets politiques des candidats à l’élection présidentielle? La question avait motivé en 2012 l’organisation d’une table ronde à Science Po Paris, dans le cadre d’une collaboration entre le CEVIPOF, la Société Française d’Economie Rurale et la cellule de veille sur la Politique Agricole Commune, CAPeye. Le succès de cette première édition a conduit à réitérer l’événement le 23 février 2017, deux mois avant le premier tour des présidentielles. Les représentants des six principaux candidats déclarés à cette date ont donc présenté leurs positions face à deux grandes questions : quelle vision ont-ils de l’évolution et de l’avenir de l’agriculture, et quels modèles d’’exploitation agricole souhaitent-ils défendre? Quelles mesures proposent-ils pour accompagner ces évolutions et mettre en œuvre leur projet agricole, et comment voient-ils le rôle de la PAC? Force est de constater qu’entre 2012 et 2017 les conditions de cette table-ronde se sont fortement modifiées !
Cinq ans plus tard, alors que les discussions à mi-parcours de la PAC restent encore limitées à quelques cénacles d’experts, les agriculteurs ont subi une crise des prix sans précédents dans de nombreuses filières. Ils expriment un mécontentement et un désarroi importants devant l’incapacité des politiques publiques à les aider à défendre un plus juste partage de la valeur ajoutée face aux entreprises d’aval, le retard de paiement des aides de la PAC, et les exigences environnementales qu’ils vivent comme des contraintes supplémentaires. Et pourtant, jamais on n’a observé autant d’initiatives positives, mises en avant autour de l’agriculture urbaine, la bio, les produits de qualité, les circuits de proximité… Pour autant l’agriculture apparaît comme un thème peu visible dans la campagne présidentielle, à l’exception sans doute de la semaine du Salon de l’Agriculture, qui a suivi le débat. Présents dans les médias mais minoritaires dans la société, les agriculteurs seraient-ils moins considérés par les candidats à la présidentielle ?
Les intentions de vote des agriculteurs en 2017 révèlent des ruptures importantes comparées aux résultats des enquêtes effectuées en 2012 pour le premier tour. Le sondage réalisé début février par le CEVIPOF et Le Monde indique en effet un niveau très élevé d’intentions d’abstention, autour de 50%, soit le taux le plus fort des principales catégories professionnelles, alors que les agriculteurs étaient parmi celles qui votaient le plus. Autre rupture, le niveau très élevé des intentions de vote pour Marine Le Pen (35% contre 19% en 2012) qui fait écho à la forte baisse des intentions de vote pour le candidat de la droite républicaine (20% pour François Fillon, contre 44% pour Nicolas Sarkozy en 2012). Les intentions de vote pour Emmanuel Macron (20%) semblent toucher un électorat agricole qui va au-delà d’un vote centriste (11% en 2012 pour Bayrou), alors que le vote agricole de gauche et écologique apparaît globalement stable (23% au total), dominé par le candidat socialiste (18% pour Bernard Hamon seul). Abstention, montée du vote FN et éclatement du vote traditionnel caractérisent le nouveau paysage du vote agricole.
Enfin les conditions du déroulement de la campagne électorale de 2017 sont inédites, affectant directement l’élaboration des projets politiques pour l’agriculture et la table ronde elle-même. Les deux candidats situés aux extrêmes de l’échiquier politique (La France Insoumise et Front National) ont été investis précocement et ont pu travailler en amont sur l’élaboration de leur programme. Le candidat écologique était également engagé depuis plusieurs mois dans une démarche programmatique, mais elle a été sans doute affaiblie par son ralliement (le soir de la table ronde !) à la candidature de Benoît Hamon. Pour ce dernier, investi à l’issue des primaires un mois plus tôt, les responsables agricoles étaient en cours de désignation et le projet agricole encore en chantier. Il en était de même pour le projet d’Emmanuel Macron entré en campagne en novembre 2016 et devant construire en peu de temps une formation politique. François Fillon, également vainqueur surprise d’une primaire récente, a dû affronter des révélations perturbant sa propre campagne, même si ses relais dans le milieu agricole ont permis de formuler un premier programme avant la table ronde. Bref, alors qu’en 2012 les programmes agricoles des candidats étaient calés à deux mois du premier tour, en 2017 ils étaient encore en cours d’élaboration, de redéfinition ou de finition, participant à une impression générale de flottement, d’improvisation, avec parfois même une distinction par les intervenants entre leur position personnelle et celle encore inachevée de leur candidat.
Les présentations permettent néanmoins de repérer divergences et convergences entre programmes, avec parfois des proximités inattendues, comme les engagements forts de Jean Luc Mélenchon et de Marine Le Pen pour l’agriculture familiale, les circuits courts et contre les traités commerciaux et la PAC telle qu’elle existe aujourd’hui (voir le tableau comparatif et l’analyse textuelle de la table ronde). Le diagnostic sur « l’état de l’agriculture » est assez partagé, reprenant les constats ambiants de crise agricole, même si ses causes ou responsabilités diffèrent, et si le candidat écologiste s’est démarqué en insistant sur les « initiatives locales positives ». Les thèmes évoqués par quasiment tous les candidats concernent l’inégale répartition de la valeur ajoutée dans les filières, les difficultés d’installation et l’accès au foncier, la reconnaissance d’une diversité de formes d’agriculture (mais avec des options différentes sur les modèles à promouvoir), la reconnaissance du rôle de la recherche agronomique (mais avec des inflexions sur ses orientations), ou encore le maintien d’un soutien à l’agriculture, mais avec des cadres politiques et des outils différents (PAC vs national, retour à un protectionnisme vs aides directes ou assurances subventionnées…). Des thèmes ont été par contre beaucoup moins abordés, ou seulement par un ou deux intervenants : l’évolution de la PAC, les nouveaux enjeux du développement rural (santé, développement économique, aménagement numérique, services publics, habitats), la question des innovations ou du changement climatique…
Au final les projets pour l’agriculture, encore en chantier pour la majorité des candidats, sont apparus à la fois fondés sur des thématiques communes, en partie calées sur l’actualité du secteur, et en cohérence avec les options économiques et sociales portées par les projets politiques de chaque famille politique: « promouvoir la révolution agricole » pour Mélenchon, « valoriser la diversité des initiatives » pour Hamon et Jadot, « libérer et protéger » pour Macron, « simplifier la PAC et stimuler la compétitivité par filière » pour Fillon, « réaffirmer une souveraineté alimentaire nationale » pour Le Pen
Tableau récapitulatif
Les mots de la campagne présidentielle
A partir de l’enregistrement de la table ronde, une analyse textuelle de discours a permis de repérer les mots clés les plus utilisés par chacun des intervenants. Cette méthode révèle le registre des discours utilisés dans les différents partis. On identifie trois grands groupes de discours.
Document préparé par : François Purseigle, Sophie Thoyer, Jean-Marc Touzard, Pauline Lécole avec l’aide de Cécile Gazo et de Jeanne Oui
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